Interview avec l’Observateur
L’OBS – Si l’on devait le comparer à du bon vin, il serait sans doute un grand cru. Mbagnick Diop, Président du Mouvement des entreprises du Sénégal (Mdes), initiateur des «Cauris d’or», est ainsi. A 54 ans, c’est un homme de réseau et d’influence, irréductible dans le monde des affaires, particulièrement de la Communication…
Sourire lustré, mine affable, il accueille avec de grands gestes, avec d’énergiques poignées de main amicales. Pour un peu, on se laisserait choir sur les canapés moelleux de son bureau XXL. L’odeur exaltant du café-crème, servi avec délicatesse par l’une de ses employées, abrège notre halte bien méritée. Avant de pénétrer dans les locaux de Promo- Consulting, il faut d’abord braver la chaleur d’étuve qui plombe la capitale par cet après-midi de Toussaint (fête des morts). Au premier étage de l’immeuble estampillé «Seydi Djamil» de la VDN, une «tour de verre», cèle les strates d’un empire en pleine expansion. Celui de l’irréductible Mbagnick Diop. Ce philanthrope qui s’est construit à bout de cœur à l’ouvrage, d’aspirations…
«1er fils d’un haut fonctionnaire»
Loin des tableaux qu’ont peint les chroniques du «Who’s who», l’homme, visage rondelet, est un baroudeur qui a fait sa devise, le travail. «Seul le travail paie et il faut donner du temps au temps», se plait-il à ressasser. Sauf que du temps, il en a très peu pour papoter. Verbe direct, il va droit au but et ne prend pas la peine de choisir ses mots. Rien de bien déroutant pour ce bonhomme écorce noire, au physique, premier de la classe, qui multiplie les paris et les actions depuis sa tendre jeunesse. Cela fait maintenant 54 ans que Mbagnick est venu au monde à Dakar (Sicap Rue 10) où il a fait ses humanités. Premier fils d’une fratrie déjà comblée par 4 petites filles, il est ce garçon tant désiré par ses parents. Et la gloire, il l’a connue dès son premier souffle de vie, sous un ciel constellé. «C’est l’épouse du Khalife des Tidianes qui a accouché ma mère et elle est pratiquement comme ma 2e maman», narre-t-il, des étoiles pleins les yeux. Sa bonne étoile, à lui, ne l’a jamais quitté, guidant ses pas vers le succès. Son statut de «gosse de riche», conforté par ses balades en bagnoles de luxe avec chauffeur, un standing de vie assez élevé, ses escapades à Ndiaffate, (village près de la région de Kaolack), bercé par les chants des oiseaux, avec ses deux jeunes frères (l’un d’eux, Ahmadou Diop, n’est plus de ce monde) n’a, en aucun cas, fait de lui un oisif en puissance. Bien au contraire, il a tout mis en œuvre pour croître ses «richesses» de la vie, lorsque son papa a pris sa retraite, alors qu’il n’était qu’un ado de 16 ans. «Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre d’années», dit-on. Prenant son destin en main, le jeune-homme allie job et études…
Baroudeur anticonformiste
Cursus scolaire normal, un crochet par Paris à Sup de Pub en 1983, parchemin (BTS Communication et Action Publicitaire) en poche, il retrousse ses manches et se lance dans la Com. Esprit libre, il ne pouvait pas se suffire d’être un salarié. Il flaire alors un bon filon, puisque le créneau était, jusque-là, naissant. Petit à petit, il gravit les échelons et se met à son propre compte. Seul artisan de sa réussite sociale, Mbagnick Diop s’est mué en gourou de la Communication, son domaine de prédilection. «J’aime manager, j’ai le contact facile, j’ai le sens du relationnel, j’adore innover», voilà les raisons qui l’ont poussé à investir ce secteur, alors que son pater, un des gros bonnets d’alors de la compagnie Shell, le destinait à une carrière, d’expert-comptable.
Aujourd’hui, les calculs sont bien loin, derrière lui… Homme de réseau et d’influence, il fait bonne figure auprès des figures politiques, économiques et de ceux qui font le pays. Il est à la tête d’une entreprise prospère (Promo Consulting) qui a développé, ces dernières années, un pôle médias. Le «self made man», leader né, est aussi le Président du Mouvement des entreprises du Sénégal (Mdes), qui a réussi à se doter d’un fonds de garantie. Une grande première au sein d’une organisation socio-professionnelle. Plusieurs autres casquettes, Président de la Commission Culture, Artisanat, Tourisme et Sports au Conseil économique et social (Cese), Président du Conseil d’administration de plusieurs sociétés, Administrateur des sociétés Interface, VIP Events… On aurait dit qu’il a plusieurs vies et de l’expérience comme personne. Pas étonnant qu’il compte dix bureaux de représentation à travers le monde. Le spécialiste de la connexion publique sillonne la planète pour transmettre son expertise encyclopédique de la Communication. Une boulimie qui contraste presque avec son allure timorée, son flegme déconcertant. Mais il ne faut pas se fier à l’apparence, même si l’homme d’affaires ne s’encombre pas d’apparat. Pas besoin d’une mise ultra-chic, façon dandy chic, de lire l’heure avec un kaléidoscope de Graff Diamonds au bout du bras. Tout juste se contente-t-il d’être un communicant géant, fayot qui plus est. Il vit boulot, respire boulot et mange boulot. «Je rentre chez moi à des heures indues et parfois je rapporte du travail à la maison. Le lendemain, je suis sur pied aux aurores.» Un volume de travail extraordinaire, d’énormes sacrifices noyés dans une énième marre de café de la journée. Il n’en a pas marre pour autant. Il semble à l’aise avec son horloge biologique complètement déglinguée et porte avec aisance son complet, deux pièces beige orné de fils marron. Il a des plaisirs simples, entre un bon livre, les infos à la télé ou écouter du Jazz, en vrai mélomane, ou du Youssou Ndour, s’émerveiller devant un tableau d’Art ou encore regarder un film, le chef d’entreprise est aux anges. Ancien avant-centre de la JA, taper sur un ballon rond, c’est également, un de ses dadas.
Sens relationnel
L’autre dimension de ce magnat, c’est sa prédisposition à créer des concepts novateurs et porteurs. Les «Cauris d’or», événement majeur dans le landerneau économique, qui récompensent les entreprises les plus innovantes, les meilleurs managers hommes et femmes, les personnalités qui se sont le plus distinguées par leurs actions, en sont la parfaite illustration. Que dire alors de la Diaspora des affaires, des Universités d’été ou encore de sa plus grande fierté, le Forum du 1er emploi. «Je l’ai conceptualisé depuis 2001 et aujourd’hui, il a permis à des milliers de jeunes de s’insérer dans le milieu professionnel. Pour moi, cela n’a pas de prix. Lorsque je recevais des demandes d’emplois, je m’étais rendu compte que c’était des Bacs +5, +6 ou +7. Je me demandais pourquoi, il ne trouvait pas d’emplois. J’ai compris qu’ils n’avaient pas de relais ou de bras longs. C’est delà qu’est partie mon idée de créer le Forum du 1er emploi. Il s’agit de mettre en liaison des demandeurs d’emplois et des chefs d’entreprise. Aujourd’hui, beaucoup s’en inspirent dans le monde», explique-t-il solennel. Son secret réside principalement dans le relationnel. «En ayant des relations, on évolue dans le professionnel. Dans le professionnel, on gagne des marchés. En gagnant des marchés, on se diversifie. En se diversifiant, on amasse de l’argent. Donc gagner de l’argent, c’est de l’intelligence. En travaillant, avec peu de moyens, on peut fructifier son capital.» Avec tous ses ingrédients, il a concocté la recette d’un des plus beaux succès économiques sous nos cieux.
Heureux en ménage
Sa vie privée est tout aussi bien entretenue. Heureux en ménage, Mbagnick partage ses coups de blues, ses euphories, ses échecs, ses prouesses, ses regrets (la perte de ses parents), avec son amour de jeunesse, celle qu’il a connue, alors qu’elle n’avait que 14 berges et lui, 16. «J’ai la chance d’avoir une épouse extraordinaire, qui s’occupe bien de moi. Aujourd’hui, nous avons de grands enfants et des petits-enfants. J’ai ma fille qui est banquière aux Etats-Unis et un autre fils qui vit également là-bas. Je pense que j’ai une belle famille, malgré le fait qu’elle n’a pas pleinement pu profiter de moi, à cause du temps qui me fait défaut. Heureusement qu’il y a des moments comme les «Cauris d’or», où je les retrouve tous», s’enorgueillit-il. Des moments qu’il se fait le plaisir de perpétuer, c’est le pèlerinage à La Mecque. Fervent croyant, il s’arrange, malgré un agenda surbooké, pour se recueillir et renforcer sa foi qui lui permet d’enjamber des barrières et d’exister…
Philanthrope
N’étant plus à démontrer, son altruisme lui a valu plusieurs distinctions. Chevalier de l’ordre national du Lion, Citoyen d’honneur des villes de New York et de Montréal, Mbagnick Diop a fait du service des autres, son sacerdoce. Pour lui, «nous sommes des humains, il faut toujours tendre la main. J’entends et j’écoute les problèmes des Sénégalais. On me reproche d’ailleurs d’être un patron trop accessible». Une qualité qui a, par ailleurs, fait germer des accointances avec l’ex-Première Dame, Viviane Wade. En s’investissant dans le social, il s’est lié d’amitié avec l’épouse d’Abdoulaye Wade, chef d’Etat sortant, elle-même très active dans ce domaine, à travers sa fondation «Éducation Santé». Une proximité qu’il partage aussi avec l’actuel Président Macky Sall et d’autres leaders politiques. Au point d’être taxé de transhumant pure souche. Encore faut-il être un politique pour transhumer. Mbagnick, lui, s’en défend énergiquement : «Je ne suis pas un politique et on ne peut pas me reprocher mon amitié avec Macky Sall, dont je suis un proche conseiller depuis des lustres, peut-être dans l’ombre. Mon amitié n’est pas non plus exclusive, je refuse de me laisser enfermer dans un carcan.» Et c’est sans doute ce qui fait sa force de caractère, son autonomie, son charisme. C’est tout ça, Mbagnick…
Pape Samba Ndour